Extension de la problématique de la liquidation partielle indirecte : Arrêt du Tribunal fédéral du 14 décembre 2023

Me Alexandre Bardot, mars 2024

Pour rappel, Les critères de la liquidation partielle indirecte (LPI) sont précisés dans la législation fiscale depuis la RIE II. La LPI concerne les sociétés de capitaux possédant une substance non nécessaire à l’exploitation, dont les titres sont vendus par des personnes physiques qui les détiennent dans leur fortune privée, à d’autres personnes physiques qui reprennent ces droits dans leur fortune commerciale ou à des sociétés de capitaux et dont le prix d’achat est financé, avec la participation du cédant, en totalité ou en partie avec des fonds de la société de capitaux acquise, au moyen de la distribution de sa substance non nécessaire à l’exploitation ; la participation du cédant étant effective lorsque celui-ci sait ou devrait savoir que des fonds seraient prélevées pour en financer le prix d’achat.

Lorsque les conditions sont remplies, le vendeur qui détient les droits de participation dans sa fortune privée ne réalise plus intégralement un bénéfice en capital non imposable, mais au moins partiellement un rendement imposable de la fortune, à savoir à hauteur du prélèvement de substance de la société de capitaux. Or, la condition pour l’imposition au titre du rendement de la fortune qui nécessite une participation active ou passive du vendeur (quant à ses intentions) à l’opération d’appauvrissement de la société- cible n’est pas toujours aisée à déterminer sur la base de critères objectifs. Le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 14 décembre 2023 a eu l’opportunité de préciser la notion de participation du vendeur dans le cadre d’une opération qualifiée de LPI. Cette décision est digne d’intérêt dans la mesure où elle retient une LPI alors que dans le cas d’espèce, la société acquéreuse possédait des moyens financiers très importants.

En substance, un résident zurichois avait vendu une participation faisant partie de sa fortune privée, dans la SA dont il était actionnaire à hauteur de 60% en 2008 à une SA membre d’un groupe important. Cette dernière présentait des fondamentaux financiers très solides. Moins de cinq ans après la vente, la société acquéreuse a procédé à une fusion par absorption de la société acquise, reprenant ainsi l’ensemble des éléments commerciaux de cette dernière. Les autorités fiscales zurichoises ont alors considéré que les éléments constitutifs d’une LPI étaient réalisés du fait de la violation du délai de blocage de cinq ans prévu à l’art. 20a al.1 let. a LIFD. Le contribuable a fait recours, estimant qu’il n’avait pas participé à l’opération d’appauvrissement réalisée dans le cadre de la fusion juste avant ce délai de blocage. Or, pour qu’une LPI soit qualifiée, il conviendrait que le vendeur sache ou aurait dû savoir que les fonds seraient prélevés de la société acquise, pour en financer le prix d’achat et qu’ils ne lui seraient pas rendus conformément à l’art. 20a al. 2 LIFD.

A l’instar de la juridiction inférieure, le TF considère que le vendeur doit vérifier si l’acheteur est en mesure de financer le prix d’achat par ses propres moyens sans recourir aux fonds de la société visée, introduisant dans la jurisprudence un devoir de diligence renforcée du vendeur. Ce qui rend les clauses contractuelles LPI inopérantes pour exclure la participation de celui-ci. Ainsi selon l’analyse du TF, le risque de participation est réel si la société vendue dispose d’une substance non nécessaire à l’exploitation très importante et disproportionnée par rapport aux besoins de l’exploitation de la société-cible. Une telle substance ouvre la porte à une distribution de substance pendant le délai de blocage de cinq ans. Selon le TF, le vendeur aurait dû être conscient du risque d’une distribution de substance pendant le délai de blocage et le fait de prévoir au contrat une indemnité constituait un indice qu’il avait conscience de ce risque, au moins passivement. Ce dernier avait mis en avant la capacité financière considérable de l’acheteur qui n’avait aucunement besoin de financer son acquisition au moyen de la substance de la société-cible, la fusion intervenue n’ayant pas été organisée pour des raisons fiscales mais de rationalisation du groupe ; ce qui n’a pas convaincu la juridiction suprême.

En outre, les juges de Mon Repos confirment le mode de calcul prévu par la Circulaire n°14 du 6 novembre 2007 de l’Administration fédérale des contributions traitant de la vente de droits de participations de la fortune privée dans la fortune commerciale d’un tiers (LPI).

En conclusion, cet arrêt clarifie la notion de participation du vendeur en élargissant le champ de la LPI. En effet, une substance importante non nécessaire à l’exploitation au jour de la vente constitue un indice très important d’une participation du vendeur qui aurait ainsi thésaurisé à des fins fiscales et aurait dû imaginer que cette substance serait distribuée dans le délai de blocage de cinq ans. Le fait que la société acquéreuse soit financièrement solide n’a joué aucun rôle. A notre sens, s’il est légitime de considérer que le vendeur a un devoir de diligence et qu’il doive demander les informations pertinentes sur la solvabilité de l’acquéreur, il nous semble délicat d’exiger de lui une enquête approfondie lors d’une opération de cession.